lundi 6 décembre 2010

Côte d’Ivoire, le pays où se joue l’avenir de l’Afrique

Surtout ne nous trompons pas, l’avenir du continent africain se joue, en ce moment, en Côte d’Ivoire. Sans vouloir prendre partie pour l’un au détriment de l’autre, l’épreuve des forces entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ne doit laisser aucun Africain indifférent. Mine de rien, derrière cette lutte acharnée entre deux fortes personnalités se cachent plusieurs enjeux. Sur fond de lutte entre les musulmans et les chrétiens dans la prise du pouvoir, d’investissements chinois et de balkanisation de la Côte d’Ivoire, c’est le nouveau découpage territorial de l’Afrique qui est au menu des grandes puissances de ce monde.

L’opposition entre les chrétiens et les musulmans

On ne peut qu’être surpris du silence de l’ancien président Henri Konan Bédié qui est à l’un des promoteurs du concept d’ivoirité ayant fait injustement d’Alassane Ouattara « le paria » de la classe politique ivoirienne. Ironie du sort, Bédié a été obligé, au second tour de l’élection présidentielle, de soutenir Ouattara qui avait été l’allié de circonstances de Laurent Gbagbo en 2000. Certes, d’aucuns pourraient s’abriter derrière la mauvaise utilisation d’un concept qui, conçu par Nangoranh Porquet dans les années 1970, devait en principe permettre la synthèse de différentes cultures ivoiriennes. En fait, à travers « l’affirmation de l’épanouissement de l’homme ivoirien dans ce qui fait sa spécificité », l’objectif de l’ancien président avait consisté à contenir les ambitions présidentielles de son rival nordiste de l’époque, l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Ce dernier avait été écarté, à deux reprises (en 1995 et en 2000), de la course à la magistrature suprême pour « nationalité douteuse ».

En tout cas, l’utilisation politique de l’ivoirité par Henri Konan Bédié au lendemain du décès de Félix Houphouët Boigny, a abouti au résultat contraire. En effet, au lieu d’unir les Ivoiriens, l’ivoirité a été utilisée pour exclure les gens du Nord majoritairement musulmans. Ainsi a-t-elle fini par générer le putsch des insurgés nordistes en 2002 au point de balkaniser la Côte d’Ivoire.

Les investissements chinois

Il est évident que les puissances occidentales voient d’un mauvais œil le fait que la Chine aille à l’assaut du continent africain. Or, sachant l’intérêt de l’Empire du milieu pour les ressources naturelles de l’Afrique, une stratégie s’est mise en place pour contrer son implantation. Contrairement à ce que l’on peut penser, le choix d’un asiatique, en l’occurrence Youn-Jin Choi, comme représentant des Nations Unies en Côte d’Ivoire n’est pas du tout anodin. En ayant certifié la victoire de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, tous ceux qui voient en Laurent Gbagbo l’adversaire du néo-colonialisme vont désormais associer les asiatiques aux manigances qui consistent à vouloir hypothéquer l’avenir du continent africain. Cela risque donc de porter préjudice aux investissements chinois dans cette partie de la planète.

Ayant fleuré le piège, la Chine s’est jointe à la Russie en apportant leur soutien à Laurent Gbagbo. Ainsi ces deux pays, qui siègent au Conseil de sécurité, ont-ils manifesté leur désaccord avec la majorité de la communauté internationale qui ont volé au secours d’Alassane Ouattara.

La balkanisation de la Côte d’Ivoire

Le choix de Thabo Mbeki, comme médiateur, montre bien l’hypocrisie de l’Union Africaine. Il est vrai que Thabo Mbeki avait réussi à obtenir, à Pretoria en avril 2005, un accord ayant proclamé la « fin des hostilités ». Mais le texte était resté lettre morte, car les rebelles du Nord ont accusé le médiateur de l’époque d’être un « partisan acharné » de Laurent Gbagbo. Comment l’ancien président sud-africain peut-il, aujourd’hui, trouver une issue à la situation en cours en Côte d’Ivoire dès lors que les éléments constitutifs de la crise ivoirienne sont toujours d’actualité ?

Quant aux forces onusiennes, comment peuvent-elles justifier en Côte d’Ivoire le principe qui a poussé la monuc, conformément au chapitre VI de la charte des Nations Unies, à privilégier le « règlement pacifique » s’agissant des affrontements meurtriers entre les rebelles de Laurent Nkunda et l’armée nationale congolaise dans l’Est de la République Démocratique du Congo ? On peut également s’interroger sur les raisons qui ont poussé les forces onusiennes à ne pas intervenir avant l’entrée en jeu du Conseil constitutionnel. Cela aura au moins permis à la Commission Électorale Indépendante de proclamer les résultats dans le délai légal. S’est-il agi de l’objectif recherché dans l’espoir de maintenir la coupure de la Côte d’Ivoire en deux ? Mises devant le fait accompli, il ne leur reste plus que deux choix. Soit elles passent outre le principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’un État, conformément aux articles 39 et 42 du chapitre II de la Charte des Nations Unies. Soit elles recourent, comme le préconise l’article 41 du chapitre VII de ladite charte, à des mesures non militaires (embargo, sanctions économiques) pour faire pression sur les partisans de Laurent Gbagbo.

Or, dès lors que le Conseil constitutionnel a confirmé la victoire du président Gbagbo, une éventuelle intervention militaire des Nations Unies équivaudra à un putsch. En conséquence, les forces onusiennes se retrouveront dans la situation de l’arroseur arrosé, après soutenu qu’Alassane Ouattara était victime d’un putsch de la part du président sortant. Si jamais les Nations Unies interviennent militairement en Côte d’Ivoire et que l’armée ivoirienne parvient à défendre la partie Sud du pays, il y aura des fortes probabilités que la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud soit maintenue. Ainsi la matérialisation de la balkanisation du pays deviendra-t-elle officielle. Ouattara deviendra, de facto, le président de la Côte d’Ivoire du Nord et Gbagbo celui de la Côte d’Ivoire du Sud.

L’avenir du continent africain

La légitimité doit-elle forcément primer sur la légalité ? Certes, seul Laurent Gbagbo détient, aujourd’hui, la clef du dénouement de ce dilemme. Mais, au-delà du problème interne à la Côte d’Ivoire, il est important de rappeler que l’imbroglio ivoirien peut servir de précédent à la balkanisation du Soudan, du Nigeria, de la République Démocratique du Congo, de l’Angola et du Cameroun. Les Africains ont donc intérêt à ce qu’une solution salutaire soit trouvée en Côte d’Ivoire, s’ils veulent sauvegarder l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation conformément à la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine de 1964. Il ne faut surtout pas que les Ivoiriens, chrétiens comme musulmans, s’enferment dans le schéma extra-continental que l’on veut leur imposer. De plus, il est question, non seulement de l’unification de la Côte d’Ivoire, mais probablement de l’avenir de toute l’Afrique.

Gaspard-Hubert Lonsi Koko

2 commentaires:

  1. Voilà un Monsieur qui a bien compris ce qui se passe en Côte d'Ivoire contrairement à certains Africains de l'Ouest notamment du Burkina Faso (comme le journaliste de la Voix de l'Amérique), du Mali, du Niger et du Sénégal (surtout leur dictateur de président) qui interviennent de manière intempestive et inopinée dans les histoires internes de la Côte d'Ivoire. En Guinée, au Niger, au Burkina, au Sénégal, les Français ont mis des sous-préfets à la tête. Il ne reste plus que la vache à lait de l'Afrique de l'ouest francophone. Les ressortissants des pays limitrophes à la Côte d'Ivoire voudraient que ce pays leur appartienne pour qu'ils y fassent en toute impunité ce qu'ils font déjà à savoir le grand banditisme, le trafic de drogue, le non entretien de leur cadre de vie etc. A voir de près c'est encore les mêmes qui ont envahi la grande France et qui font l'objet des charters de Sarkozy. La mise sous tutelle de la Côte d'Ivoire ne sera pas facile pour Papa Sarkozy car les Ivoiriens avec Gbagbo à leur tête ont compris depuis longtemps ce qui est bien pour eux et les Africains honnêtes et non ce qui est bon pour les Occidentaux et spécifiquement le plus inique d'entre eux à savoir la France

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  2. J'apprécie la pertinence de cet article. En effet, il ne faut pas que les Africains donnent, eux-mêmes, des arguments à ceux qui, de l'extérieur du continent, veulent à tout prix fragiliser nos pays.

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